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Les Liens du Sang

Extrait de l’interview faite par Brigitte Barbier pour l’AFC

 

 

(…) Cette histoire se passe à la fin des années 70, début 80. Une des difficultés du film consistait à trouver une esthétique par rapport à cette époque. Jacques n’avait pas d’idée préconçue, il nous a montré des films tournés dans ces années-là, en particulier ceux de Pialat et Sautet.

 

T’es-tu inspiré des images de cette époque ??

Oui, je suis parti de l’image d’« Un mauvais fils » de Claude Sautet, photographié par Jean Boffety. Je me suis souvenu de la Fuji de l’époque qui était très particulière. Les hautes lumières viraient dans le magenta et les basses dans le vert, ce qui la rendait difficile à travailler. On étalonnait souvent les visages au détriment des arrières plans. Ce qui donnait une esthétique que je trouve très caractéristique de ces années-là. Je ne sais pas si « Un mauvais fils » a été tourné en Fuji, mais j’ai eu envie de retrouver ces arrières plans marrons verts. J’ai donc proposé à Jacques d’aller plutôt vers le bronze et le vert. Sauf que les pellicules ont beaucoup changées. Elles montrent tout, avec une précision chirurgicale. Ce qui pour un film d’époque me paraît être une difficulté supplémentaire, où le moindre détail trahit vite qu’on est dans les années deux mille.  Je me suis dit qu’en laissant les hautes lumières partir franchement dans le blanc et les ombres dans le noir, c’était autant de détails qui disparaîtraient. Pareil pour les couleurs, j’avais l’impression qu’en appauvrissant la palette, on avait moins de chance de sentir l’époque actuelle. C’est donc assez naturellement que je me suis orienté vers un traitement sans blanchiment. N’ayant pas accès à l’étalonnage numérique, j’ai d’abord pensé faire le traitement sur l’internégatif. Didier De Keyser, chez Eclair, m’a conseillé de le faire sur le négatif et les essais ont montrés qu’il avait raison. Je n’ai pas fait de grain fin pour ne pas perdre ce que le sans blanchiment me faisait gagner en sensibilité (1000 asa pour les intérieurs jours, c’est appréciable en fin de journée d’hiver…) mais aussi parce que je trouvais que la granulation allait dans le sens de l’époque. D’autant que j’ai pris le parti de filtrer en bleu (et un dia de marge en moins…) pour que les lumières de tirages restent équilibrées et me donnent une bonne latitude de travail à l’étalonnage. Même dans ces conditions, l’exercice reste périlleux et la sous-exposition ne pardonne pas.

A l’arrivée, j’avais donc une pellicule suffisamment sensible pour pouvoir travailler avec des sources douces comme les kinoflos, mais tellement contraste qu’il fallait obligatoirement éclairer ce que l’on voulait « voir ». Une façon de travailler qui empruntait à la fois aux méthodes de l’époque et à celles de maintenant…

 

 

Le contraste est fort mais toujours plaisant, l’image reste assez douce, elle n’est pas plate, c’est dur et doux à la fois, comme les personnages du film…

 

Oui. Je n’aurais pas osé le formuler comme ça. Mais c’est ce qu’intuitivement j’ai cherché à faire.

 

La caméra accompagne toujours les comédiens de manière très vivante et très fluide, tu étais à l’épaule?

 

J’adore cadrer à l’épaule. Je trouve qu’on accompagne beaucoup mieux les micro accidents de la prise, en pouvant se placer précisément au bon endroit. Donc, mis à part les caméras sur capot et quelques voitures travelling, le film est tout à l’épaule. Les prises étaient longues et je me suis vite aperçu que j’aurais des problèmes avec les comédiens si je ne leur donnais pas la possibilité de les enchaîner en privilégiant systématiquement les magasins de 300m. Trois mois comme ça, même avec la Panavision XLII, j’avais peur de ne pas tenir le coup. L’Easyrig a rendu le pari possible. J’avais choisi le modèle qui correspondait à une caméra plus légère que la nôtre, afin qu’il ne prenne pas tout le poids à sa charge et que la caméra ne flotte pas.

 

Raconte nous un peu comment Jacques travaille avec les comédiens ?

Il leur demande souvent comment ils veulent jouer la scène. François Cluzet adorait ça, d’autres étaient plus déstabilisés. Une fois, avec Jacques, on avait prévu des places pour une scène de rupture dans un café, avant que les comédiens n’arrivent. On s’était dit, on va les mettre là, il y a un contre naturel, on a de la place autour… Puis François arrive, on le sent mal à l’aise à cette place et Jacques lui propose de choisir un autre endroit. Évidemment, il choisit l’endroit le plus engoncé, apparemment le plus dur pour moi. Parce que ça lui semblait juste par rapport à la situation. Dans ce cas, mon grand plaisir, c’est de dire « oui, oui, il n’y a pas de problèmes ». On fait quelques répétitions et puis François préfère revenir à la place initiale… J’adore cette idée de laisser faire, parce que souvent, les choses tournent bien pour la caméra. Et que même quand elles paraissent se révéler impraticables, on se rend compte que finalement, c’est pas si mal que ça pour la scène. Quand tout le monde fonctionne avec cette philosophie, le tournage peut devenir un vrai plaisir. Ce vrai plaisir aussi, c’est la confiance qui nous est accordée par Jacques. Il ne se bloque pas sur une idée, il nous laisse chercher ce qui est le mieux pour le film.

 

 

Il y a vraiment une unité dans ce film, on ne pense pas que cela se passe dans les années 70, on le sent, on le vit, de manière très subtile…

 

Je voulais qu’on sente le parfum de ces années-là, sans que l’on ait pour autant l’impression que le tournage soit d’époque... Il y a des films qui tentent la reconstitution, avec les bons costumes, les bonnes coiffures, les voitures, etc… et qui sont trahi par les excellentes performances de nos optiques et pellicules actuelles. J’ai essayé de laver tout ça, laver les blancs, foncer les noirs, avoir un seul vert, un seul rouge… C’est toujours agréable quand un film se prête a un vrai parti pris d’image.

Je remercie chaleureusement toute l’équipe image qui m’a soutenu à 200% dans cette aventure et sans qui je n’aurais jamais pu relever le défi. Ainsi qu’Alain Guarda et Mathilde Delacroix, qui ont su distribuer tous ces points de vert et de rouge avec talent.

 

Caméras Panavision Millénium et XL, chez Cinécam

Format 2,35 en trois perfos.

Optiques : Série Z    (parce qu’ils sont légers et qu’ils ne « flarent » pas trop)

Éclairage chez Transpalux

Laboratoires Eclair, étalonneur : Alain Guarda et Mathilde Delacroix

Pellicules : FUJI Eterna 500T et Eterna 250D

 

 

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